La voie à suivre: les évaluateurs doivent promouvoir l'apprentissage pour des processus de développement adaptatifs

©FAO/K. Pratt

La voie à suivre: les évaluateurs doivent promouvoir l'apprentissage pour des processus de développement adaptatifs

7 min.

En tant qu'évaluateurs, nous sommes confrontés à une complexité croissante de l'époque dans laquelle nous vivons et au défi de laisser une trace sur les initiatives de développement pour créer un monde meilleur. L'expérience COVID-19 nous a montré la voie à suivre.

Un pas en arrière dans le temps

Si nous remontons au tournant du siècle, nous pouvons observer à quel point le paradigme de l'assistance a évolué des années 1990 aux années 2000. Plutôt que de considérer le développement comme quelque chose à enseigner et délivrer, celui-ci a été refondu comme un processus largement interne qui pourrait être soutenu et facilité par des partenaires externes. L'appropriation nationale du processus de développement étant de plus en plus reconnue, les conditions de l'aide au développement ont changé pour donner la priorité à l'implication des gouvernements et partenaires nationaux sur des objectifs de développement convenus. Ainsi, de nombreux pays ont commencé à élaborer des stratégies de développement visant à réaliser les objectifs stratégiques de haut niveau. Au niveau mondial, les gouvernements ont souscrit aux Objectifs du Millénaire pour le Développement.

De manière similaire, les évaluations ont eu besoin de modifier leur approche. À l'aube du nouveau millénaire, les évaluateurs devaient non seulement examiner l'efficacité opérationnelle des interventions et politiques mais aussi leurs liens et contributions aux objectifs de développement et politiques de plus haut niveau. Cela a donné naissance au défi d'analyser la complexité multisectorielle, que nous avons encore du mal à disséquer aujourd'hui.

Comment aborder la complexité

L'une des manières d'aborder la complexité et d'avoir une vue d'ensemble d'une intervention et d'un programme est de dessiner ce que nous appelons une carte des systèmes. Voici un exemple de carte que nous avons élaborée lors de l'évaluation de la stratégie nutritionnelle de l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) dans le cadre de notre évaluation de la contribution de l'Organisation à l'Objectif de développement durable 2 (ODD 2)

map SDG2

La carte montre les synergies intersectorielles et les compromis intégrés dans le système qui créent des processus dynamiques avec un certain degré d'imprévisibilité. Naturellement, cela est trop complexe pour être analysé intégralement et cela ne peut pas non plus être utilisé pour mesurer les effets des interventions. Personne n'est censé comprendre tout le système.

Comment pouvons-nous donc aborder une telle complexité et imprévisibilité lors de la programmation, le suivi et l'évaluation? La réponse consiste à adopter une approche adaptative qui met l'accent sur la réalisation des résultats attendus en adaptant les actions nécessaires pour les réaliser. Il est essentiel d'ancrer les résultats souhaités, puis de les suivre et d'analyser la manière dont ces résultats sont obtenus. Plus important encore, nous devons adopter une approche d'apprentissage, de manière à ce que, si les choses vont de travers ou ne fonctionnent pas comme prévu, nous examinions les raisons et prenions des mesures correctives. Il est également important de le faire de manière transparente, dans la mesure où le projet s'est écarté de son intention initiale.

Que pouvons-nous apprendre de la réponse au COVID-19?

La réponse mondiale au COVID-19 est un bon exemple de gestion de la complexité multisectorielle. Des compromis clairs sont faits entre la nécessité de contenir le virus et celle de continuer à faire avancer l'économie mondiale. L'épidémie et les mesures pour la contenir ont toutes deux affecté les personnes de différentes manières et à différents degrés, créant des processus dynamiques qui sont imprévisibles.

Personne ne peut analyser tous les effets d'une politique dans une telle situation, qu'il s'agisse du confinement ou de l'assouplissement des restrictions. Les experts en maladies infectieuses ont leurs idées. Les économistes et les sociologues ont les leurs. Et en fin de compte, les responsables politiques font un choix fondé sur les conseils de différents experts sectoriels.

Ce faisant, ils devraient aussi être capables de s'appuyer sur les données de suivi basées sur les résultats, les taux d'infection, de décès et des capacités hospitalières par exemple, et une pléthore d'indicateurs socio-économiques. Il est également important que les décideurs disposent d'une analyse sur les raisons pour lesquelles certaines données ont évolué à la hausse ou à la baisse, de manière à former un jugement éclairé. Cette approche adaptative a été une réponse naturelle durant l'épidémie de COVID-19, face à l'immense complexité multisectorielle et à l'imprévisibilité. Il est donc possible de pratiquer une approche adaptive mettant l'accent sur l'obtention des résultats face à une telle crise.

C'est en fait ce que les évaluations sont censées faire: observer les données et les éléments de preuve, se concentrer sur les indicateurs de résultats, analyser les relations causales sous-jacentes et délivrer des conseils pour les politiques basées sur les preuves.

Les évaluations en temps réel sont une approche appropriée

Le chef de notre Organisation a demandé au Bureau de l'évaluation de mener une évaluation en temps réel de notre programme de lutte contre le fléau du criquet pèlerin, dans le contexte d'une crise émergente en Afrique de l'Est et en Asie de l'Ouest. Selon les prévisions, les essaims de criquets devaient avoir un impact dévastateur sur l'agriculture dans les deux régions. Le Directeur Général souhaitait que nos évaluateurs mettent à profit leur expertise pour fournir une analyse et des conseils politiques, en se basant sur les données de résultats et les preuves, alors que le programme était encore en cours.

Nous faisons de même en ce qui concerne le programme de réponse au COVID-19, en délivrant des conseils basés sur les preuves alors que le programme est encore en cours.

Une telle approche prévaut encore davantage pour les interventions humanitaires en raison de l'imprévisibilité de nombreuses crises humanitaires, ainsi que de leur impact affectant fréquemment différents secteurs. Mais pourquoi ne pas faire de même pour les initiatives de développement?

Lorsque nous visons des objectifs de développement et des objectifs politiques plus élevés, il faut souvent du temps pour que cette politique prenne effet. Personne ne sait vraiment comment les choses évolueront. La réalisation du programme de développement comporte également une dimension multisectorielle.

Les évaluateurs doivent encourager une culture de l'apprentissage organisationnelle

Malgré cela, nous semblons nous accrocher aux vielles hypothèses, en mettant en œuvre des politiques et des programmes comme s'ils devaient fonctionner comme prévu. Pourquoi? Peut-être en raison  d'enjeux institutionnels ou d'un sentiment d'inertie, ou peut-être parce qu'il est plus facile de revenir au statu quo. Plus que tout, nous devons donc encourager une culture de l'apprentissage organisationnelle.

Nous avons besoin d'une culture de l'apprentissage dans laquelle nous ne craignons pas d'admettre que les choses ne se déroulent pas comme prévu et sommes prêts à prendre des mesures d'adaptation. Nous avons besoin d'un cadre pour suivre les résultats de manière plus régulière – et pas seulement de données quantitatives pour montrer comment les choses avancent, mais aussi de données qualitatives pour comprendre les causes sous-jacentes.

Pour que cette nouvelle approche fonctionne, nous avons besoin de responsables à tous les niveaux qui l'adoptent: une attention mise sur les résultats, un suivi et une analyse réguliers, apprentissage et adaptation. Cela ne relève pas de la responsabilité des évaluateurs uniquement mais doit impliquer l'ensemble de l'organisation. Il s'agit toutefois d'un défi pour lequel les bureaux d'évaluation peuvent apporter leur aide aux organisations ‒ et une toute nouvelle tâche à l'horizon.