Évaluations des objectifs de développement durable: comment manger un éléphant?

©Benedicte Kurzen/NOOR for FAO

Évaluations des objectifs de développement durable: comment manger un éléphant?

8 min.

Bonjour à tous! Le Bureau de l'évaluation de la FAO évalue actuellement la contribution de l'Organisation à certains objectifs de développement durable (ODD) ‒ et ces évaluations s'avèrent un peu difficiles.

Ainsi, j'ai cru bon de partager certaines des leçons que nous avons apprises dans le cadre de notre Évaluation de la contribution de la FAO à l'ODD 2 – Faim zéro[1].

J'ai discuté récemment des défis posés par l'évaluation du soutien aux ODD avec Ian Goldman de CLEAR et Dirk Troskie du département de l'agriculture du gouvernement du Cap occidental, en Afrique du Sud. Ils semblaient quelque peu surpris que nous nous soyons lancés dans une entreprise aussi importante. Les liens de causalité entre le Programme de développement durable à l'horizon 2030 et l'action au niveau des pays étant ténus et difficiles à déterminer, ils étaient curieux de savoir comment nous pourrions évaluer la contribution d'une organisation telle que la FAO aux progrès réalisés par ses Membres sur un ODD spécifique.

Les pays évaluent leurs progrès relatifs aux cibles des ODD à travers les examens nationaux volontaires et rendent compte au Forum politique de haut niveau sur le développement durable. Ce système de compte rendu et de suivi, qui implique les organisations des Nations Unies telles que la FAO en qualité de «dépositaires» des indicateurs, est supposé maintenir la pression sur les signataires et favoriser leur redevabilité. Toutefois, la FAO ne peut pas forcer un pays à faire ce qu'il ne veut pas faire. Tout est une question de «soft power» ‒ persuasion, inspiration et influence, éléments qui apparaissent intangibles. Alors comment évaluer tout cela?

Notre premier travail consiste toujours à clarifier les liens de causalité attendus. En ce qui concerne l'ODD 2, nous avons formulé non pas une mais deux théories du changement.  La première était axée sur les rôles et les attentes d'une organisation telle que la FAO lorsqu'il est question des ODD (théorie du changement n°1, voir figure ci-dessous). Nous avons ensuite élaboré une théorie du changement pour l'ODD 2 lui-même (théorie du changement n°2), regroupant les cibles dans trois niveaux, comprenant chacun deux cibles: a) appui à la production alimentaire (cible 2.a/ODD 2.5); b) production alimentaire (cible 2.3/ 2.4); c) consommation alimentaire (cible 2.1/2.2). Les marchés (cible 2.b/2.c) reliaient les trois niveaux.

Théorie du changement n°1, pour le soutien de la FAO aux ODD (lien ici)

Théorie du changement n°1

 

Théorie du changement n°2 : Représentation simplifiée de l’ODD (lien ici)

Théorie du changement n°2

En disposant les cibles de la sorte, nous avons pu observer une tension entre le côté gauche et le côté droit de la théorie du changement n°2. Sur le côté gauche, les cibles 2.1, 2.3 et 2.a renvoient toutes à une conception traditionnelle de l'agriculture, orientée vers les revenus et la production suffisante de denrées de base. Sur le côté droit, les cibles 2.2, 2.4 et 2.5 appellent à une transition vers des systèmes alimentaires plus durables et équitables.

La théorie du changement de l'ODD 2 peut être résumée comme suit: les pays doivent réorienter et élargir leurs systèmes de soutien à l'agriculture (marchés, recherche, vulgarisation, etc.) et leurs politiques afin de promouvoir une évolution vers une agriculture plus diversifiée, plus durable et plus équitable, sauvegardant la biodiversité plutôt que l'amenuisant et produisant des aliments diversifiés et nutritifs à un coût environnemental inférieur.

L'ODD 2 appelle à une transformation décisive, qui se détourne de la philosophie «produire plus à tout prix» de la Révolution verte des années 1960 et 1970, qui a généré beaucoup des problèmes auxquels nous sommes confrontés aujourd'hui, en promouvant un usage généralisé des pesticides et des engrais chimiques, par exemple. Cette orientation est conforme aux principes sous-jacents du Programme de développement durable à l'horizon 2030 ‒ agir à grande échelle et accentuer l'interconnexion et les approches holistiques, en soulignant, en particulier, la durabilité, l'innovation et l'inclusion sociale et économique, pour «ne laisser personne de côté». Notre travail théorique préliminaire nous a fourni un ensemble d'éléments ancrés dans le cadre de 2030, par rapport auxquels nous avons pu évaluer l'appui de la FAO à l'ODD 2 et son évolution dans le temps, soit un cadre analytique fondé sur le Programme de développement durable à l'horizon 2030.

Nous avons ensuite décomposé la portée très large du projet en 14 études de cas thématiques (voir les liens ci-dessous) et 15 études de cas de pays. De cette manière, nous avons choisi de nous concentrer sur ce qui semblait être, au premier regard, des bonnes pratiques que la FAO pourrait mettre à profit en matière d'apprentissage et diffuser. Cette décision était pragmatique compte tenu du caractère formatif de l'évaluation. Il n'aurait pas été judicieux d'organiser des visites dans des pays où l'aide de la FAO eût été négligeable ou ordinaire.

Néanmoins, cette démarche comportait un risque: celui de dresser un tableau exagérément positif de la performance de la FAO au niveau des pays. Nous avons compensé ce risque en développant une méthodologie standard et des barèmes de notation sur différents éléments, tels que le degré d'attention des programmes de la FAO à «ne laisser personne de côté» et à la durabilité environnementale. Nous avons ensuite triangulé les résultats avec un échantillon plus large d'évaluations antérieures au niveau des pays.

Qu'avons-nous trouvé ? La FAO a contribué à la conception des ODD et plus particulièrement de l'ODD 2, qui découle historiquement du défi "Faim zéro". Toutefois, les performances de la FAO ont été nettement meilleures en matière de communication et de sensibilisation au niveau mondial qu'au niveau national, où des faiblesses opérationnelles ont limité sa contribution à l'ODD 2. Les progrès vers des systèmes alimentaires plus durables sont extrêmement lents et, en fait, alors que la sécurité alimentaire et nutritionnelle mondiale progressait avant 2015, elle a régressé depuis l'entrée en vigueur des ODD et a été encore affaiblie par la pandémie de COVID-19. Il est évident que les ODD ne sont pas des recettes miracles. 

La théorie du changement de l'ODD 2 (n°2) a mis en évidence l'importance des échanges, des marchés et du goût du consommateur comme vecteurs de transformation vers une agriculture plus durable, ce que nos études de cas ont confirmé. Il existe de nombreuses manières de soutenir l'ODD 2, l'une d'elles étant liée aux aliments que nous choisissons d'acheter et de consommer ‒ et au message ainsi envoyé aux producteurs alimentaires sur les marchés du monde entier.

Je souhaiterais souligner, en particulier, les enseignements tirés suivants:

  • Malgré les précautions que nous avons prises, les études étaient très hétérogènes. Le fait de disposer d'un grand nombre d'études de cas a contribué à contrer ce problème. Chacune des études de cas de pays et des études thématiques a débouché sur une série de recommandations d'amélioration propres, outre les recommandations de l'évaluation générale, afin de permettre l'utilisation du matériel à bon escient. 
  • Le biais positif inhérent à la recherche des «bonnes pratiques» n'a pas été aussi fort que ce que nous craignions, dans la mesure où il a été compensé par une force opposée ‒ l'optimisme. Lorsque l'on demande à une organisation telle que la FAO de citer qui a fait un bon travail générant de bonnes pratiques utiles, on obtient un grand nombre de candidats. Et tous ceux qui sont présentés ne sont pas nécessairement bons. Certains seront même, en réalité, moyens ou mauvais. Par conséquent, notre échantillon d'études de cas nous a permis de considérer pas uniquement les bonnes choses, mais également beaucoup de mauvaises choses.
  • L'un des autres enseignements tirés concernait le danger de la complexité. Nous avons passé beaucoup de temps à démêler les connexions entre l'ODD 2 et les autres objectifs. Ce travail – conduit avec l'aide du Centre pour le développement et l'environnement de l'Université de Berne – a été utile pour identifier certains compromis agricoles, tels que la pollution de l'eau et la destruction de l'habitat, mais difficile à communiquer, y compris au sein de l'équipe d'évaluation, car il était trop complexe. Nous avons donc créé une version simplifiée, dans laquelle la connexion avec les autres ODD est uniquement suggérée plutôt que cartographiée.

Le département de l'agriculture du Cap-Occidental a fait quelque chose d'assez similaire : chargé d'évaluer la manière dont le département avait contribué à l'ODD 2 et aux objectifs de développement nationaux et locaux connexes, il a analysé la question à l'aide d'une théorie solide, identifié 14 points d'intervention clés et mis en place un suivi et une évaluation au moyen d'une méthodologie semi-standard bien adaptée.

Ils en ont tiré un bon sommaire : «Comment mange-t-on un éléphant? On le coupe en morceaux.»

(Aucun éléphant n'a été blessé durant cette évaluation.)

Études de cas (en anglais)