L'intelligence artificielle nous remplacera-t-elle en tant qu'évaluateurs?

L'intelligence artificielle nous remplacera-t-elle en tant qu'évaluateurs?

7 min.

Le progrès technologique peut rendre des emplois obsolètes. Les évaluateurs suivront-ils le mouvement ?

L'intelligence artificielle: menace ou nouvelle donne?

ChatGPT prend le monde d'assaut. C'est une technologie révolutionnaire qui est en mesure de fournir des réponses de qualité humaine en interagissant dans un dialogue conversationnel[1]. Mais n'examinons pas cet instrument spécifique; parlons de la technologie en général et de l'intelligence artificielle (IA) plus particulièrement. Ce qui me préoccupe davantage est la croissance exponentielle de l'invention technologique et le niveau auquel elle peut arriver pour remplacer les êtres humains dans notre profession d'évaluation.

Parlons un instant en faisant des hypothèses. Imaginez que vous congelez une personne au VIIème siècle et que vous la réveillez 500 ans plus tard. Qu'est-ce ce qui aura changé? Pas tant que ça, en réalité ... quelques empires, l'habillement, la langue, peut-être, mais une personne pourrait facilement s'adapter à son nouvel environnement (du moins en théorie). Maintenant, imaginez que vous congelez une personne dans les années 1980 et que vous la réveillez en 2023. Cette personne serait -elle capable de comprendre tous les changements qui ont eu lieu dans ce court laps de temps? Tous les progrès de ces quelques 30 dernières années? C'est de cette croissance exponentielle que je parle.

Les professionnels de l'évaluation vont-ils disparaître lentement du marché?
photo of aircraft listener and knocker-upper

 

Les images ci-dessus témoignent du fait que le progrès technologique peut parfois rendre d'autres métiers obsolètes, comme dans le cas des "détecteurs acoustiques d'avion" et des "knocker-upper", depuis longtemps remplacés respectivement par les radars et les réveils. Les évaluateurs suivront-ils leur exemple?

Notre travail dépend de la technologie. Écrire un rapport ou recueillir et analyser des données quantitatives, par exemple, sont deux tâches qu'il est plutôt difficile de mener sans recourir à un ordinateur. Développer une théorie du changement, suivre les principaux indicateurs de performance, comparer les études, analyser un portefeuille... la liste continue; ce sont toutes des tâches que nous réalisons et que nous portons à un niveau supérieur grâce aux nouveaux instruments existants qui sont à notre disposition. En tant qu'êtres humains, nous fournissons les orientations, la réflexion et l'analyse. Nous concevons, nous collectons et écrivons, avec l'assistance de la technologie. Mais que se passera-t-il si la technologie est bientôt en mesure de nous remplacer dans toutes ces tâches?

Cette question me vient à l'esprit quand j'analyse une base de données dans notre cher logiciel Excel. Je décide ce que je souhaite analyser puis je sélectionne, je conçois, je visualise et j'interprète. Les parties les plus difficiles, comme les calculs et les graphiques, sont réalisés par le logiciel. L'idée est que dans un monde en constante évolution, la technologie est à la pointe du progrès. Elle apporte des solutions à tout environnement simple ou complexe et nous rend plus dépendants de nouveaux outils au fil des jours. En tant qu'évaluateurs, nous ne faisons pas exception à la règle.

Un autre exemple que je pourrais vous donner est celui du logiciel NVivo ‒ logiciel d'analyse de données qualitatives qui peut organiser et gérer de grands volumes de transcriptions d'entretiens, de réponses aux enquêtes et d'autres sources de données qualitatives. Ce n'est pas encore l'outil parfait, mais c'est un instrument valable qui aide à extraire les informations, avec une grande marge de progression.

Les outils technologiques nous aident déjà considérablement dans notre travail quotidien et leur importance croît au fil des ans. Leur croissance ira-t-elle de pair avec celle de l'intelligence artificielle jusqu'à atteindre un point de non-retour, où nous deviendrons obsolètes et où ils prendront en charge l'intégralité de notre fonction? Seront-ils capables de prendre en charge la direction, la réflexion, l'analyse, la conception et les autres tâches que nous effectuons généralement?

La technologie et l'intelligence artificielle trouveront leurs limites

Pour répondre à ces questions, la dernière invention technologique est arrivée: l'intelligence artificielle, c'est-à-dire la capacité des machines à réaliser des tâches qui nécessiteraient normalement l'intelligence humaine telles que la perception visuelle, la reconnaissance vocale et le processus du langage naturel.

Même si elle a fait des progrès significatifs pour l'automatisation de différentes tâches et fonctions, je crois que l'intelligence artificielle atteindra ses limites et ne sera pas en mesure de remplacer entièrement le rôle essentiel des évaluateurs humains.

Tout d'abord, l'intelligence artificielle n'a pas la capacité de comprendre le contexte, ce qui est nécessaire dans notre domaine, en particulier dans les environnements complexes où la compréhension des défis uniques et spécifiques auxquels nous pourrons être confrontés est essentielle. Elle ne dispose pas non plus du discernement et de la subjectivité propres à l'être humain et pourra ne pas être capable de prendre en compte certains facteurs pertinents ou d'apporter des idées subjectives et des expériences personnelles dans le processus d'évaluation. Ce sont des éléments souvent très importants dans des évaluations complexes ou délicates.

Ensuite, l'intelligence artificielle s'appuie sur des données et des algorithmes pour fonctionner et prendre des décisions, mais ces derniers peuvent êtres incomplets ou inexacts. En outre, les algorithmes sont limités en ce qu'ils ne peuvent en aucun cas remplacer l'interaction humaine, l'empathie ou l'intelligence émotionnelle nécessaires dans toutes les évaluations. L'évaluation exige de comprendre et de gérer les émotions, mais aussi de créer une relation.

Enfin, les travaux d'évaluation impliquent des considérations éthiques et une capacité d'adaptation, qui ne peuvent pas être entièrement prises en compte par l'intelligence artificielle, du moins pour le moment. Dans un monde en constante évolution, il est difficile de voir des automates et des algorithmes discerner des valeurs ou principes éthiques ou porter des jugements éthiques de manière autonome.

La voie à suivre

Les professionnels de l'évaluation doivent utiliser la technologie et l'intelligence artificielle comme un outil d'appui pour améliorer la précision, l'efficience et la cohérence de leurs évaluations. L'intelligence artificielle peut par exemple aider les évaluateurs à analyser rapidement de grandes quantités de données et à identifier des modèles qui pourraient ne pas être immédiatement visibles à l'œil nu. De plus, les évaluateurs peuvent utiliser la technologie pour automatiser certains aspects du processus d'évaluation, comme la saisie des données et la génération des rapports, ce qui peut faire gagner du temps et réduire les erreurs. Toutefois, il est important que les évaluateurs reconnaissent les limites de la technologie et de l'intelligence artificielle et continuent à se fier à leur propre jugement et expérience pour prendre les décisions finales. Enfin, la technologie et l'intelligence artificielle doivent être considérées comme des instruments qui peuvent amplifier, mais non remplacer, le rôle essentiel des évaluateurs pour prendre des décisions éclairées. Le discernement humain, la subjectivité, l'interaction, les émotions et l'éthique ont une longueur d'avance sur la prise de décision automatisée.

Réflexions

Je souhaiterais terminer cet article en demandant à mes collègues professionnels de l'évaluation leurs idées et réflexions sur la croissance exponentielle de la technologie et l'introduction de l'intelligence artificielle dans notre monde et notre réflexion. Qu'en pensez-vous? Pensez-vous qu'elle nous remplacera un jour ou pensez-vous comme moi que c'est un outil essentiel pour nous accompagner dans notre activité professionnelle?

  • Hi Vicente,

    Thank you for your comment. Agreed! IT is a fantastic tool which we have to learn how to get the best of it.

    Indeed, AI development poses us the challenge to be technically updated to get the best of it. We must remain humble, keep on learning and embrace the change otherwise, we might be 'left behind'.

  • Hi Rami,

    I fully agree with you and with Jorge. I think that AI is a fantastic tool which we have to learn how to get the best of it in order to leave her do the "awkward work" and we concentrate on the interesting part of analysis, interpretation and development of conclusions and recomendations.

    We must always bear in mind that AI depends on the information it was feed with. So, the evaluator expert should always keep a close and critical eye on the results of AI work.

    These AI developments poses us the challenge to be technically updated to get the best of them, to understand how they work, and to really "add value" to the evaluation work. 

    Thanks for posing here such interesting topic, which most of us are thinking about!

  • Hi Jorge,

    Thank you for your comment. I do agree with your reflection and the unpredictability of the future. And yes, we are already using AI so much even without noticing while discovering new tools on a daily basis, some which are extremely beneficial to our profession.

    I also do think that sooner or later, algorithms will become more accurate, complete and able to solve more complex issues. However, they remain in a way a 'mathematical equation', thus unable to perform certain human tasks like judgement which takes me to the context point. It may be able to analyze 'basic' context in the future but some variables would also require human interaction. But as you said, no one knows what will happen and AI can always surprise us.

    Fully agree on the evaluation journey and ethical consideration. As you said 'Is this going to change in the (near) future?', only time will tell. This invention is here to stay and will definitely have an impact (or is already having) on the professional journey itself be it positive or negative.

  • Hi Rami, 

    These are interesting questions. I find it very difficult to predict and imagine how things will be in the future when the changes we see these days are so many, and coming so fast. We are already using so much AI, even without noticing, and there seem to be new tools almost every day. I am not so sure that AI will lack the ability to analyse context in the future. Why not? And I guess that the incomplete or inaccurate algorithms may be fixed. But whether we will be replaced? I guess this will depend very much on the professional journey itself. If we think of ethical values and principles, as you mention, then we'd need to consider what is it that we are evaluating, and why are we doing it. Is this going to change in the (near) future?