RE: Peut-on se contenter de l'évaluation seule pour s'assurer de l'atteinte des ODD? | Eval Forward

Bonjour à toute la communauté,

Je suis tout à fait d'avis que le suivi et l'évaluation sont deux fonctions distinctes qui doivent se compléter harmonieusement. La première contribue à nourrir la seconde par des données fiables et de qualité, et la seconde, par l'analyse qualitative des données secondaires fournies par la première, contribue à l'amélioration de leur interprétation. Ainsi, le suivi et l'évaluation permettent de fournir des données probantes pour une prise de décision éclairée.

Il est vrai que pendant longtemps les deux fonctions ont été confondues sous le vocable "suivi-évaluation" ("M&E" en anglais), terminologie à-travers laquelle l'évaluation était occultée au profit uniquement de l'activité de suivi. Il semblerait donc que l'évaluation tente de prendre sa revanche sur le suivi ces dernières années, avec son institutionnalisation sous l'impulsion d'un leadership qui n'a pas encore réussi l'alchimie nécessaire entre les deux fonctions indissociables.

A titre d'exemple, le cas du Bénin dont je voudrais partager avec vous ici quelques éléments des résultats de l'évaluation de la mise en oeuvre de la Politique Nationale d'Evaluation (PNE) 2012-2021, politique qui a eu pour ambition de créer la synergie entre les acteurs afin de bâtir un système national d'évaluation efficace à-travers le Cadre Institutionnel d'Evaluation des Politiques Publiques (CIEPP). En effet la PNE fait la distinction entre les deux fonctions en indiquant ce qui suit :

"L’évaluation [...] repose sur les données résultant des activités de suivi aussi bien que sur les informations obtenues d’autres sources. A ce titre, l’évaluation est complémentaire de la fonction de suivi et se distingue spécifiquement des fonctions de contrôle assignées à d’autres structures et institutions de l’Etat. [...] La fonction du suivi est assurée dans les Ministères par les structures d’exécution sous la coordination des Directions de la Programmation et de la Prospective et des Cellules de Suivi-Evaluation. Lesdites structures sont chargées de collaborer avec le Bureau d’Evaluation des Politiques Publiques et les autres structures d’évaluation afin de fournir toutes les données statistiques ainsi que les informations et les éclairages nécessaires aux évaluations." Ceci confirme mes propos du premier paragraphe.

Il a donc été pris des mesures organisationnelles prévues aux pp 32 et 33 du document de la PNE ci-joint, mesures qui révèlent bien l'ambition de mettre en symbiose les deux fonctions en créant la synergie entre les parties prenantes nécessaire pour la conduite harmonieuse d'évaluations participatives.

A l'épreuve des faits, le mouvement de la gestion axée sur les résultats et les réformes budgétaires au Bénin ont induit la culture du suivi-évaluation dans l’administration publique. Mais cette culture est-elle renforcée avec la mise en œuvre de la PNE, et plus globalement par l'institutionnalisation de l'évaluation ?

Le régime d’évaluation dans les ministères aujourd’hui montre que la mise en œuvre de la PNE n’a pas eu une influence significative sur l’amélioration des pratiques évaluatives. La programmation et le financement des activités d’évaluation, la définition et l’utilisation des outils de suivi-évaluation (intrinsèquement de suivi), les commandes d’évaluations de programmes ou projets sectoriels sont les facteurs que les données de terrain ont permis d’analyser. Il en ressort que les ministères priorisent moins les activités d’évaluation que celles du suivi-évaluation.

Les ressources allouées aux activités d’évaluation dans les ministères sont relativement restées stables et ne dépassent pas généralement 1,5% du budget total alloué au ministère. Ceci dénote de la faible capacité de priorisation des activités d’évaluation par les ministères. Dans ces conditions, il ne peut être espéré un grand développement de la pratiques évaluative. Ceci reste corroboré par le taux d’exécution des activités de suivi-évaluation programmées qui est souvent dans l’ordre de 65%. A cela s’ajoute le fait que les activités réalisées sont à prédominance relatives au suivi. Les évaluations proprement dites de projets ou programmes se font rares. Des fois mêmes les quelques évaluations réalisées dans certains ministères sont effectuées sous l’impulsion des partenaires techniques et financiers (PTF) qui en font une exigence.

Toutefois, depuis l’adoption en Conseil des Ministres du guide méthodologique national d’évaluation, il est observé une croissance des activités d’évaluation dans les plans de travail annuel (PTA) des ministères notamment sur la théorie du changement et la programmation de quelques évaluations. Ces résultats montrent déjà la dynamique existante dans les ministères.

Par ailleurs, peu de ministères disposent d’une base de données de suivi-évaluation fiable régulièrement actualisée. Le développement des infrastructures technologiques d’appui au système d’information, la communication et la dissémination des résultats d'évaluation au niveau des ministères reflètent l’état du développement de la pratiques évaluative tel que présenté supra.

En définitif, l’état de développement de la pratique évaluative au niveau des ministères se justifie par l’absence de programme opérationnel d’évaluation. La PNE n'a donc pas pu induire un effet substantiel sur la culture évaluative dans les ministères en l’absence de cet outil d’opérationnalisation qu’est le programme triennal d’évaluation.

Quand nous descendons au niveau des communes, la situation est encore plus grave, car le niveau de développement des activités de suivi-évaluation (intrinsèquement de suivi) est très peu satisfaisant. L'évaluation a fourni des données très précises là-dessus. Je partagerai volontiers le rapport d'évaluation si cela vous intéresse.

Tout ceci me permets de répondre clairement aux 4 questions de Mustapha pour dire :

1. L'évaluation et le suivi sont bien des pratiques complémentaires et toutes les deux nécessaires pour l'appréciation et la correction de la performance d'une action de développement, je l'ai dit dès le premier paragraphe.

2. L'évaluation valorise et capitalise sur les données du suivi, si et seulement si la pratique du suivi est bien structurée et son système de production de données bien géré. Le cas du Bénin que je viens de décrire brièvement montre que dans le domaine du suivi, il y a encore beaucoup d'efforts à faire pour que ces deux fonctions puissent s'harmoniser convenablement afin de constituer ensemble un véritable outil d'aide à la décision.

3. Je pense qu'il faut renforcer le leadership à tous les niveaux du système national de suivi à savoir :

- au niveau individuel : les ministres et autres décideurs du top management, les cadres supérieurs et intermédiaires, (gestionnaires de projets, acteurs du suivi-évaluation, etc.) ;

- au niveau organisationnel : les structures (directions et unités de suivi-évaluation)

- au niveau des processus : les ateliers de formations, les séminaires, les activités de revues, la collecte de données, etc.

Il faut également renforcer :

- les capacités techniques/le professionnalisme/les compétences des acteurs,

- les réseaux de partenariats qui permettent d'apprendre et de capitaliser sur les expériences des uns et des autres (le forum EvalForward en est un bel exemple),

- revoir la planification du développement et le choix des indicateurs de développement, notamment la cohérence interne entre les différents documents de planification nationaux, et la cohérence de ces documents avec les agendas internationaux de développement (la domestication des ODD ou leur alignement avec les plans nationaux de développement en est un exemple patent).

4. Au niveau institutionnel, l'attention prêtée au suivi et à l'évaluation doit être égale 50 - 50. Les deux fonctions sont indissociables et contribuent à part égale au même but : la production de données probantes pour une prise de décision éclairée.

Merci à tous.