RE: The pervasive power of western evaluation culture: how and in what ways do you wrestle with ensuring evaluation is culturally appropriate and beneficial to those who legitimise development aid? | Eval Forward

Le débat sur la question culturelle et l'évaluation, mis en discussion sur la plateforme EvalForward par Daniel Ticehurst me rappelle une anecdote qu'on raconte dans certains pays africains: l'histoire d'un trou sur une route à grande circulation, situé à 3 km, qui était réparé chaque année et qui se réouvrait chaque année pendant la saison des pluies et causait donc beaucoup d'accidents graves. Et bien que l'hôpital se trouvait juste à 3 km de là, le manque d'ambulances rendait la gestion de ce problème encore les choses plus compliquées. Alors le gouvernement décida de fermer le trou avec du béton pour qu'il ne s'ouvre plus jamais… et ouvrir un autre trou juste à côté de l'hôpital pour régler… le problème du manque d'ambulances.

En entamant ma contribution avec cette anecdote, je veux me montrer un peu provoquant pour dire que chercher à régler les problèmes liés au aspects culturels lors de l'évaluation est en fait un débat assez tardif dans le processus de développement socio-économique, surtout si l'on convient que toute action développementale doit être par essence participative, et que l'implication des bénéficiaires doit être concrétisée assez précocement lors de deux étapes initiales importantes d'un processus de développement (élaboration de la problématique de développement, et identification des objectifs de développement/changement). Une telle stratégie est incontournable si nous voulons que les bénéficiaires soient activement impliqués lors des étapes ultérieures du processus de développement (implémentation/réalisation, suivi, évaluation, hand-over, etc.).

En lisant certaines contributions, dont plusieurs sont restées assez techniques et méthodologiques, je me suis senti au début des années 1980, quand le livre de Robert Chambers "Rural Development' Putting The Last First" car plusieurs des aspects culturels dans les processus de développement avaient été évoqués à partir. Celui-ci identifie les six préjugés (ou biais) important entravant le contact des étrangers avec la "réalité" rurale en général, et avec la pauvreté rurale la plus profonde, en particulier.

Le débat sur les aspects culturels dans le cadre d'une évaluation est certes intéressant mais on ne peut pas nier que cela reste un débat assez réductionniste présentant l'évaluation d'une action de développement comme si c'était un ilot indépendant alors que c'est juste une étape dans le processus de cette action de développement et, qui plus est, intervient à un moment où ce processus est assez avancé dans le temps et l'espace, et peut-être atteint un point de non-retour dans son évolution.

Parmi les contributions sur ce thème, il y a 3-4 qui ont – à mon humble avis – cerné la problématique de l'absence de considération assez fréquente des aspects culturels non seulement lors de l'évaluation, mais également durant tout le processus de l'action de développement: il s'agit de, selon l'ordre temporal des contributions:

(1) Njovu Tembo Njovu ne fait de commentaire, il fait plutôt une plaidoirie sur la philosophie de développement dans le monde qui est assez dominée par l'ethnocentrisme des Occidentaux; cela reste une vérité indéniable et je dois affirmer que je partage largement le contenu de cette plaidoirie. Il déclare que "le système d'évaluation global est dominé par les notions d'investigation émanant du Nord Global occidental, patriarcal, privilégiant les Blancs… et que les systèmes nationaux d'évaluation sont contrôlés par les bailleurs de fonds". Ceci renvoie au sérieux avec lequel sont pris en considération le suivi et l'évaluation des actions de développement dans les pays du Sud qui restent fortement tributaires des pays occidentaux en matière de ressources financières à allouer aux activités de suivi-évaluation. Et la loi de fer des pays occidentaux en matière de développement est que s'ils ouvrent des budgets pour les pays du Sud pour les actions de développement et les activités de suivi et d'évaluation y afférentes, alors il faut utiliser une partie de ces budgets sous forme de ressources humaines de ces pays donateurs. Et là, on retombe dans le cercle vicieux de l'expatrié qui va faire la formulation de l'action de développement avec ses œillères d'Occidental n'ayant que des connaissances très éphémères sur les aspects socio-culturels de l'environnement va évoluer l'action de développement en question, et quid de notre présent débat les aspects culturels et l'évaluation. Il faut donc œuvrer, comme le mentionne Silva Ferretti, à développer les outils nécessaires pouvant permettre aux expatriés d'intégrer les connaissances locales dans leurs actions de développement, donnant plus de considération au fait que les bénéficiaires puissent être à la fois des apprenants et des enseignants dans le même temps (dixit Njovu). Et ainsi aboutir à la décolonisation de l'œuvre de développement, en général, et des évaluations, plus particulièrement, tel que nous le suggère Ventura Mufume, et éviter de perpétuer "la culture de suprématie blanche" (dixit Silva Ferretti).

(2) Eriasafu Lubowa pense que "le défi de la sensibilité culturelle serait en partie résolu lors de la phase de conception en procédant à une analyse participative approfondie des parties prenantes, induite lors de l'élaboration du cadre de résultats et des indicateurs". Pour cette personne, la participation active des principales parties prenantes d'une action de développement, et plus particulièrement les bénéficiaires, lors de la phase de conception, et au suivi de l'exécution devrait minimiser/contrecarrer les problèmes de sensibilité culturelle qui surviendraient lors de l'évaluation. Ainsi, cette affirmation apporte de l'eau à mon moulin: il est quelque peu tard d'aborder les aspects culturels au moment de l'évaluation; il faut certainement aborder cela tout au début du processus de l'action de développement, donc lors de la conception.

(3) Ram Chandra Khanal annonce que "Pour diverses raisons, les questions culturelles sont moins représentées dans la conception de l'évaluation et les phases subséquentes. Lors de la conception d'une évaluation, la plupart des méthodes et outils d'enquête et d'observation ne tiennent pas compte du contexte, de l'espace et du temps, et sont principalement axés sur les résultats et leurs indicateurs associés." C'est tout le dilemme de l'évaluation qui reste assez souvent dans le cadre de résultats de l'action de développement, élaboré des années auparavant par une équipe d'expatriés qui n'avaient pas assez de connaissances sur l'environnement culturel et social dans lequel allait évoluer l'action de développement (exemple d'un projet de la Banque Mondiale sur la traction animale pour le labour des terres en Afrique). Et comme le dit si bien, Silva Ferretti, si accepter que l'évaluation signifie "résultats, indicateurs", c'est peut-être tuer dès le départ la possibilité d'une appropriation culturelle de l'évaluation, et peut-être même de l'action de développement dans sa globalité. Et cela est d'autant plus vrai que l'évaluation est assimilée par de nombreux praticiens à une documentation des résultats et des indicateurs, ce qui peut les détourner d'autres pistes d'analyse.

Donc, au final, l'étape d'évaluation ne peut à elle seule prendre la responsabilité d'aborder le débat sur les aspects culturels de l'environnement dans lequel est exécutée une action de développement, bien qu'elle puisse peut-être aborder cela dans le cadre strict heuristique que peut offrir une activité de recherche-action que peut se révéler une évaluation. Et donc le vrai débat sur ces aspects doit être planté lors de la phase de conception de cette action de développement en allouant plus de place et de rôle actif aux bénéficiaires et réduire la suprématie blanche des expatriés qui ne peuvent aucunement détenir la "vérité absolue".

Mustapha Malki, PhD

Spécialiste en suivi-évaluation

Consultant freelance