Suivi et évaluation dans les secteurs de l'agriculture et du développement durable ‒ réflexions sur la conférence NEC

©Gabriella Dimuro

Suivi et évaluation dans les secteurs de l'agriculture et du développement durable ‒ réflexions sur la conférence NEC

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Le lieu

Depuis 2009, le Bureau indépendant d'évaluation du Programme de développement des Nations Unies organise la Conférence biennale sur les capacités nationales d'évaluation (NEC) à laquelle participent des membres influents des gouvernements, de la société civile et du monde universitaire de plus de 180 pays, des représentants de nombreux organismes des Nations Unies ainsi que des partenaires bilatéraux et multilatéraux. La septième Conférence NEC s'est tenue auprès du Centre de formation international de l'Organisation internationale du travail (ITC-ILO) à Turin (Italie) du 25 au 28 octobre 2022. Suite aux bouleversements et aux fragilités socio-économiques provoqués par la pandémie mondiale, la conférence a abordé le thème «Des systèmes d'évaluation nationaux résilients pour le développement durable».

La session

Ce blog partage les principaux points débattus durant le panel de discussion organisé par EvalForward et le Bureau indépendant de l'évaluation du Fonds international de développement agricole (FIDA) lors de cette conférence. Les représentants du Gabon, du Sénégal, de la Côte d'Ivoire et de Djibouti ont partagé leur expérience en matière de suivi et évaluation (S&E) au niveau national et ont engagé une discussion fructueuse avec une quarantaine de participants de différents pays parmi lesquels le Burundi, Djibouti, la Guinée-Bissau, l'Indonésie, le Pakistan, le Mali et la Tunisie. La session a été diffusée sur internet (enregistrement disponible ici).

La session était intitulée «Innover en matière de S&E afin de mieux répondre aux besoins des décideurs, avec une attention particulière à l'agriculture et au développement agricole». Son objectif était d'identifier les opportunités permettant de renforcer la culture de la gestion axée sur les résultats en agriculture et de faciliter l'utilisation du S&E pour la prise de décision afin d'améliorer les impacts des projets et des politiques publiques.

Le contexte

L'agriculture est au cœur des efforts à accomplir pour éradiquer la pauvreté, la faim et la malnutrition en Afrique et atteindre l'objectif de développement durable 2: Faim zéro. Toutefois, malgré les efforts pour diminuer le nombre de personnes sous-alimentées, la production et la productivité agricoles en Afrique sont plus basses que la moyenne mondiale compte tenu des défis posés par la croissance rapide de la population et les menaces liées au changement climatique. Dans ce contexte, il est important que les politiques, les programmes et les projets dans les domaines agricole et environnemental soient bien conçus, fondés sur des données solides et suivis pour d'éventuels changements de cap. La prise de décision dans ce secteur doit également être guidée par la compréhension de ce qui fonctionne et de ce qui ne fonctionne pas ‒ c'est-à-dire être éclairée par des éléments de preuve produits par des systèmes de S&E fonctionnels. En outre, deux crises mondiales successives ‒ la pandémie de COVID-19 et la guerre en Ukraine ‒ combinées à d'autres conflits en cours dans le monde, ont induit une crise sévère d'accès à la nourriture, qui a renouvelé l'attention politique sur l'agriculture et les chaînes de valeur alimentaires dans de nombreux pays.

Principaux points à retenir des intervenants

Rodrigue Siangoye Owoumbou, chargé de planification, suivi et évaluation du Projet pour l'agriculture et le développement agricole et rural (cofinancé par le FIDA), a partagé les efforts entrepris actuellement par le Ministère de l'agriculture du Gabon afin de consolider le système national de S&E. Il a souligné l'importance du leadership politique national et la nécessité de la mise en commun des évaluations de tous les donateurs afin de consolider le système. Il a également évoqué les demandes de redevabilité émanant des organisations de la société civile. Un diagnostic récent du système de S&E auprès du Ministère de l'agriculture a recommandé différentes mesures consistant à s'appuyer sur la création d'une nouvelle unité de S&E afin de développer un système de S&E à part entière et de contribuer à la planification et à la prise de décision fondées sur des éléments de preuve dans le secteur. Ses propos ont été repris, au sein du public, par le directeur général de l'évaluation de la politique publique du Ministère de la bonne gouvernance et de la lutte contre la corruption, Nandrot Mara-Abyla Abala, qui a souligné le soutien politique au système national d'évaluation au Gabon.

Le second intervenant, Youssouf N’Dia, directeur du contrôle et du S&E auprès du Ministère de la planification et de développement de Côte d’Ivoire, a mis en évidence l'avancée importante réalisée par son pays en inscrivant l'évaluation dans la constitution et en approuvant une loi sur l'évaluation des politiques publiques en 2022. Le Ministère de l'agriculture est le seul ministère comprenant un directorat général de la planification et de l'évaluation, ce qui souligne le rôle central de l'agriculture dans l'économie du pays. Toutefois, il a reconnu les défis à relever pour entreprendre les évaluations en raison des contraintes de budget et de ressources humaines, notamment du fait que les fonctionnaires du Ministère de l'agriculture sont pour la plupart ingénieurs agronomes et n'ont pas d'expérience ou de formation en évaluation. Un manque de données sur les cultures alimentaires par rapport aux cultures d'exportation a également été identifié comme défi supplémentaire à relever pour le système de S&E du secteur agricole ivoirien.

Le troisième intervenant, Mor Seck, secrétaire permanent de la Commission pour l'évaluation et le suivi des politiques et programmes publiques de la Présidence de la République du Sénégal, a partagé l'expérience récente de son organisme lors d'une première évaluation réalisée par le pays dans le domaine de la santé. Elle sera suivie par une évaluation de la politique publique agricole, comprenant l'environnement, dans les prochains mois. L'agriculture est également un secteur prioritaire pour le développement économique et social au Sénégal. Il a relevé l'importance des approches participatives, telles que la capitalisation des expériences, afin de faire entendre la voix des citoyens dans le processus d'évaluation ainsi que d'autres approches telles que l'évaluation quantitative de l'impact.

En dernier lieu, Sekou Tidiani Konaté, directeur de la coordination, coopération et planification de l'Institut national de la statistique de Djibouti, a partagé l'expérience de son pays. Bien que le Ministère de l'agriculture n'ait pas encore démarré des activités de suivi et que l'agriculture compte actuellement pour moins de 1 pour cent du produit intérieur brut, la pandémie a poussé les principaux acteurs à initier un recensement agricole. L'association des évaluateurs a également un rôle à jouer pour faire progresser ce programme.

Commentaires du public et session de questions-réponses

Une session animée de questions-réponses a eu lieu, soulevant notamment les questions suivantes: la relation entre les processus d'évaluation menés par le gouvernement et le soutien externe des partenaires techniques et financiers; la manière dont les élus locaux peuvent participer au S&E des politiques publiques; le rôle des innovations qui peuvent être appliquées au S&E, telles que les systèmes d'information géo-spatiale et les données permettant de générer des éléments de preuve dans le secteur agricole; les conséquences de la configuration institutionnelle sur les systèmes d'évaluation nationaux. Sur ce dernier point, le représentant du Sénégal a précisé que, bien que sa commission dépende du pouvoir exécutif, elle a révélé une forte volonté politique d'entreprendre l'évaluation publique. L'assemblée nationale joue également un rôle de contrôle avec la Cour des comptes (tout comme en Côte d’Ivoire).

Conclusion

La Conférence sur les capacités nationales d'évaluation a révélé certaines avancées mais également certains retours en arrière et défis pour le renforcement des systèmes d'évaluation nationaux, qui constitue une entreprise complexe de long terme. Ce panel de discussion a notamment souligné que l'agriculture pourrait être un secteur phare pour les systèmes de S&E en Afrique en raison de son importance et qu'elle pourrait entraîner d'autres secteurs dans un élan visant à développer des systèmes d'évaluation nationaux et une prise de décision basée sur des éléments de preuve.

Cette session contribuera également aux débats en cours entre les organismes des Nations Unies ayant leur siège à Rome ‒ le FIDA, l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture et le Programme alimentaire mondial ‒ pour l'établissement d'une approche et d'outils communs afin de mieux soutenir les capacités en S&E dans ces secteurs.