"C'est en goûtant que l'on sait si c'est bon": cinq leçons pour renforcer les capacités d'évaluation nationales

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"C'est en goûtant que l'on sait si c'est bon": cinq leçons pour renforcer les capacités d'évaluation nationales

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La capacité des pays à évaluer les programmes de développement est essentielle pour soutenir une réelle appropriation des réalisations en matière de développement et pour renforcer le rôle joué par les éléments concrets dans la prise de décision.

Si ce principe, qui sous-tend le renforcement des capacités d'évaluation nationales, est tout à fait clair dans de nombreux documents qui remontent à la Déclaration de Paris et, plus récemment, dans le Programme 2030, les systèmes d'évaluation nationaux restent encore embryonnaires dans la plupart des pays.

Une résolution de l'Assemblée générale des Nations Unies de 2014 (A/RES/69/237) a appelé les entités des Nations Unies à soutenir les capacités des pays en matière d'évaluation. Afin d'avoir une vue d'ensemble de ce qui a eu lieu depuis lors, le Groupe des Nations Unies pour l'évaluation (GNUE) a réalisé une étude sur "les contributions des Nations Unies au renforcement des capacités d'évaluation nationales et l'évolution des systèmes nationaux d'évaluation", qui sera publiée prochainement cette année.

Nous avons participé à trois des six études de cas de pays présents dans cette étude du GNUE, en examinant en particulier le renforcement des systèmes d'évaluation nationaux au Bénin, au Maroc et au Costa Rica. Nous avons partagé certaines de nos conclusions lors du Forum international francophone de l'évaluation (FIFE) en décembre 2021. Nos contreparties du Maroc et du Bénin ont participé à la table ronde.

Dans ce blog, nous exposons cinq leçons apprises en matière de renforcement des systèmes d'évaluation nationaux qui ont été examinées lors de la session du FIFE. Ces idées et d'autres encore seront analysées avec davantage de précisions dans le rapport du GNUE publié prochainement[1].

1. La volonté politique est l'ingrédient clé qui sous-tend le rôle de l'évaluation nationale.

Sur ce point, le Bénin est l'exemple le plus éloquent. Avec l'un des systèmes d'évaluation nationaux les plus anciens et les plus durables en Afrique, l'expérience d'évaluation du Bénin a commencé en 2006, lors de l'arrivée au pouvoir d'un nouveau chef d'État dont l'évaluation faisait partie du mandat politique. Il a créé un ministère afin de superviser l'évaluation et développé un cadre réglementaire. Au Bénin, cette volonté politique ainsi que le souhait de mettre en place les bons éléments ont été au cœur du système d'évaluation national malgré les ressources limitées du pays. Les donateurs et la coopération technique ont joué évidemment un rôle central pour le soutien et le maintien de l'intérêt pour l'évaluation ainsi que pour l'amélioration du système. Il est toutefois intéressant de noter qu'alors que la plupart des activités d'évaluation du Bénin avaient commencé avec 100 pour cent de financement externe, la principale part du budget dédié aux évaluations mises en œuvre par les systèmes d'évaluation nationaux est désormais couverte par les ressources nationales (60 pour cent).

2. L'évaluation doit faire ses preuves: il est important de commencer à réaliser et à utiliser les évaluations le plus tôt possible afin d'obtenir du soutien.

Nos études de cas de pays ont montré qu'il n'est pas nécessaire qu'un système soit en place pour commencer à réaliser des évaluations. Au contraire, il est important de démontrer la valeur et les avantages des processus d'évaluation en testant et en pilotant des évaluations menées par le pays, de manière à susciter l'intérêt et l'appétit pour d'autres évaluations. Comme le dit le proverbe: "c'est en goûtant que l'on sait si c'est bon". Certains pays ont pris des mesures pour développer leurs systèmes et mis en place des politiques et des directives mais n'ont pas réalisé d'évaluations concrètes. Leurs systèmes d'évaluation risquent de rester une pure aspiration.

L'exemple du Bénin montre combien ceci est important. En 2009, au début du système d'évaluation, le pays a réalisé une évaluation de sa politique agricole. Cette démarche avait rencontré initialement une certaine résistance auprès du Ministère de l'agriculture, mais le processus d'évaluation a été mené en consultation avec un large éventail de parties prenantes, y compris plusieurs organisations essentielles du secteur. Suite à ces consultations et discussions, les recommandations ont été acceptées et ont fortement éclairé par la suite la nouvelle politique agricole du pays. Elles ont contribué à renforcer certaines chaînes de valeur des produits de base et ont amélioré le développement économique du secteur. En fin de compte, le succès de l'évaluation agricole a renforcé le système d'évaluation et a rallié davantage de partisans à la cause de l'évaluation.

3. L'évaluation doit faire appel à un éventail plus large de parties prenantes pour s'ancrer dans le pays.

Créer une culture de l'évaluation est essentiel pour développer une structure institutionnelle efficace et éviter un certain nombre de structures formelles inefficaces sans impact pratique.

La politique de régionalisation avancée du Maroc (2015) a représenté une occasion pour accélérer le développement économique, social et culturel du pays, affectant la gouvernance des régions, provinces, préfectures et municipalités. Cette politique énonce que les Conseils régionaux doivent être responsables devant la Cour des comptes régionale et qu'ils doivent lui rendre des comptes quant aux réalisations et aux impacts des plans, programmes et projets. Cette organisation est l'occasion de faire appel aux écoles et aux universités afin qu'elles forment et préparent de nouveaux responsables dotés de solides connaissances en gouvernance régionale et locale et qu'elles intègrent l'évaluation dans leurs programmes d'études et leurs activités pour encourager la transparence et la redevabilité au sein du gouvernement.

Au Costa Rica, la plate-forme nationale d'évaluation sert de centre où toutes les parties prenantes peuvent discuter et diffuser des activités d'évaluation, contribuant ainsi à une compréhension plus large et au renforcement des capacités de la société civile à participer au processus. Elle intègre également l'évaluation dans les pratiques de gestion courante et veille à ce qu'elle ne soit pas simplement une réponse à la demande d'un donateur.

4. Il est important qu'une institution forte de promotion de l'évaluation prenne l'initiative.

Le cas du Costa Rica montre à quel point il est important qu'une institution forte de promotion de l'évaluation prenne l'initiative au niveau national. Le Ministère de la planification nationale et de la politique économique (Mideplan) est l'institution promotrice au Costa Rica, réunissant différents donateurs et des technologies modernes. Il a conforté sa légitimité avec la politique nationale d'évaluation et la plateforme nationale d'évaluation du pays. C'était une démarche intelligente pour consolider le système d'évaluation national, qui, autrement, aurait pu devenir un réseau fragmenté d'institutions dotées d'une capacité gonflée. En effet, il est désormais possible de voir comment la consolidation du travail du Mideplan a mené à une meilleure implication du Costa Rica dans les réseaux mondiaux (tels que l'Initiative mondiale pour l'évaluation). Le pays a créé des liens au niveau régional en participant à des réseaux tels que le Réseau d'évaluation en Amérique latine (RELAC) et a promu la coopération interuniversitaire dans la région. En termes de méthodologies et d'innovations, le gouvernement a mis en œuvre récemment une évaluation participative dans la municipalité de Limón dans les Caraïbes, réalisée uniquement par des organisations locales. Le Costa Rica était représenté dans différents panels lors de la dernière semaine gLOCALe de l'évaluation organisée par CLEAR LAC en mai-juin 2021 et il a été considéré par cette organisation comme l'un des cinq meilleurs pays de la région en matière de systèmes d'évaluation.

5. Au niveau du pays, il est essentiel de promouvoir la culture de l'évaluation et les approches participatives.

Le Maroc en est un bon exemple. Si nous souhaitons attirer et maintenir l'intérêt d'un plus grand nombre de parties prenantes pour l'évaluation, nous devons l'alimenter à travers des processus participatifs ouverts et des activités d'évaluation fréquentes, comprenant l'auto-évaluation et l'évaluation interne. Cela permettra de renforcer la compréhension de l'évaluation et de plaider en faveur de l'utilisation des éléments concrets fournis par l'évaluation. Cela ne s'oppose pas à la notion d'évaluation indépendante et externe pour garantir une méthodologie rigoureuse; les deux peuvent aller de pair afin de contribuer à faire avancer la cause et la pratique de l'évaluation dans un pays.