Beaucoup d'évaluations ont lieu dans des contextes qui ont peu ou pas de données permettant d'identifier les personnes handicapées afin qu'elles prennent part aux évaluations et à d'autres consultations ou études.
Même dans les pays où les informations sont plus facilement accessibles, les évaluateurs devront peut-être se montrer plus créatifs quant aux personnes à contacter et à la manière d'adapter les méthodes d'évaluation traditionnelles pour les rendre plus inclusives.
En réponse à la Stratégie des Nations Unies pour l'inclusion du handicap (United Nations Disability Inclusion Strategy), le Bureau de l'évaluation du Programme alimentaire mondial (PAM) a élaboré récemment des lignes directrices spécifiques illustrant comment aborder l'inclusion du handicap dans la pratique de l'évaluation qui ont suscité une riche discussion sur l'inclusion du handicap en évaluation lors de l'EvalXchange 2023 ayant pour objectif de stimuler les idées et l'apprentissage mutuel.
L'un des intervenants, Kevan Moll, consultant en inclusion du handicap, a livré quelques conseils pratiques sur la manière dont les évaluations peuvent être plus inclusives pour les personnes handicapées, resumés ci-dessous.
Quelles sont les principales considérations à prendre en compte lors de l'identification des personnes handicapées pour une évaluation?
Lors de l'identification de personnes handicapées comme participants potentiels d'une évaluation, on note une tendance commune à ne travailler qu'avec ceux qui sont les plus faciles à atteindre, les plus visibles et les plus audibles.
Pour garantir une perspective, un éventail de points de vue et des expériences les plus amples possibles dans toute évaluation, il est important de faire participer, dans la mesure du possible, les personnes handicapées dans toute leur diversité en termes de sexe, de handicap et d'âge.
Les mouvements en faveur des personnes handicapées ne sont pas nécessairement des structures homogènes ou cohérentes. Les organisations de personnes handicapées (OPH) nationales peuvent être axées sur différents handicaps dans la mesure où elles sont en théorie représentatives des personnes ayant les handicaps les plus communs. Toutefois, il est important d'envisager de contacter également les organisations spécifiques à certains handicaps afin de garantir une portée qui soit la plus large possible.
Il est également important d'être conscients du fait que d'autres organisations peuvent exister au niveau national, sous-national ou local pour les femmes, les hommes, les jeunes et les enfants handicapés.
L'inclusion de la voix et du point de vue des personnes présentant des déficiences du langage, de l'audition, intellectuelles et psychosociales peut être plus difficile. À cet égard, le secteur du handicap au sens large (les ONG travaillant pour ou avec des personnes handicapées) ainsi que les parents ou les soignants – lorsqu'ils existent – peuvent également être des sources précieuses de soutien.
Pouvez-vous suggérer des stratégies pratiques pour identifier les personnes handicapées lorsque des données limitées sont disponibles?
Les OPH nationales ou locales peuvent être une porte d'entrée efficace pour identifier les contacts locaux – qu'il s'agisse d'individus, de groupes ou de réseaux – afin de fournir des informations de base, des conseils et un soutien. Une recherche sur internet ou des informations provenant des personnels des organisations non gouvernementales (ONG), des autorités locales et des chefs de communautés sont toutes des sources potentielles d'informations dans le cadre de cette démarche: les parents et les soignants de personnes handicapées peuvent également être une source utile de contacts, d'informations et de soutien au niveau local.
Dans des situations humanitaires, les personnes handicapées sont peut-être déjà recensées comme vulnérables afin d'obtenir un meilleur accès aux services. À partir de là, les groupes peuvent s'organiser et des chefs peuvent émerger spontanément ou à travers une facilitation et il est alors possible de les impliquer.
Au Timor-Leste, en 2022, j'ai participé à un travail de recherche et d'analyse sur la présence de personnes handicapées par sexe, handicap et âge mais également selon des données démographiques générales pour un programme portant sur des moyens d'existence agricoles inclusifs. Dans le cadre de ce travail, un Directeur exécutif de l'OPH nationale a été nommé membre du comité de pilotage, alors que le personnel des OPH locales a été impliqué directement pour l'identification et l'enquête auprès des personnes handicapées en vue des entretiens sur les attitudes et le comportement entre et envers elles dans leurs communautés. Cette démarche a également permis à l'OPH d'augmenter le nombre de ses adhérents et de mieux représenter ses adhérents ruraux.
Quels conseils donneriez-vous pour adapter les méthodes d'évaluation plus traditionnelles afin de les rendre plus inclusives envers les personnes handicapées?
Tout d'abord, veillez à inclure les personnes handicapées, dans la mesure du possible, dans tous les aspects du processus d'évaluation et pas uniquement en tant que personnes à interroger: cela peut signifier de les inclure dans la programmation et la conception; en tant que membres du comité de pilotage, en tant qu'évaluateurs et enquêteurs; en tant que soutien pratique pour l'identification et la communication avec les participants; en tant que destinataires pour un retour d'observations sur les conclusions et des contributions pour toute réponse de suivi.
Les femmes et les hommes ayant des handicaps divers et impliqués en tant qu'évaluateurs et enquêteurs peuvent améliorer significativement la qualité de la discussion et des informations produites sur les questions et les expériences liées aux handicaps.
Les personnes interrogées sont davantage susceptibles de partager leurs réflexions et expériences et seront mieux comprises et entendues par quelqu'un qui a une expérience vécue similaire. En conséquence, l'évaluation est plus en mesure de communiquer, analyser et interpréter les résultats et les implications. Dans les programmes généraux, un évaluateur handicapé ouvre la discussion sur l'égalité d'accès et l'inclusion.
Pour ce qui est des réunions de groupe, réfléchissez à la/aux composition(s) souhaitée(s) des consultations: une combinaison de personnes ayant ou non un handicap; des femmes et des hommes ayant différents handicaps; des groupes de personnes ayant un seul handicap; des groupes de personnes du même sexe; des groupes comprenant exclusivement des jeunes ou des enfants. Différentes combinaisons génèrent des idées supplémentaires.
Pouvez-vous donner des astuces pratiques pour préparer une évaluation incluant des personnes handicapées?
Que le travail soit individuel ou collectif, la préparation est essentielle. Il est essentiel de connaître votre public à l'avance et de prendre les mesures et les adaptations nécessaires.
À moins de réaliser des entretiens en tête-à-tête à domicile, les efforts pour garantir l'accès et une inclusion appropriés peuvent avoir des implications financières pour trouver des lieux adéquats, recruter des interprètes, recevoir l'aide nécessaire en termes de transport et de soutien des membres de la famille.
Idéalement, les personnes handicapées devraient s'exprimer elles-mêmes, si cela est possible. Si cela n'est pas possible, il convient de savoir à l'avance quelle personne elles souhaitent choisir pour les représenter et parler en leur nom.
Les entretiens avec des personnes présentant des troubles de la communication peuvent être plus productifs dans un contexte de tête-à-tête avec leur représentant désigné. Ces entretiens prendront plus de temps, il est donc utile de décider au préalable ce qui est prioritaire entre la qualité ou la quantité des informations (et la meilleure combinaison entre ces deux éléments) et de prévoir des délais supplémentaires pour de tels entretiens.
Pour les consultations collectives, il est important de visiter le lieu prévu avant la réunion et de vous poser les questions suivantes:
- Le lieu est-il accessible et approprié pour des personnes ayant des handicaps physiques, moteurs, visuels, de la parole/de l'audition ou des déficiences intellectuelles? Dans le cas contraire, quels sont les ajustements nécessaires?
- Le lieu choisi est-il suffisamment proche du domicile des participants de manière à réduire les déplacements nécessaires sur de longues distances?
- Si les déplacements sont longs, sur des terrains difficiles ou dans des zones reculées, souhaitez-vous et êtes-vous en mesure d'organiser et de rembourser les frais de déplacement?
Existe-t-il des directives spécifiques pour prendre en compte les personnes ayant des déficiences auditives, visuelles ou intellectuelles?
Pour les personnes ayant des déficiences auditives, vérifier si les participants sont sourds ou malentendants. Quelle est leur forme préférée de communication: la langue des signes, leurs propres gestes ou la lecture labiale? Des interprètes en langue des signes peuvent souvent être mis à disposition par le biais d'organisations locales de et pour les personnes sourdes et malentendantes et d'autres OPH. Si une personne utilise ses propres gestes, veillez à ce qu'elle soit accompagnée par une personne qui connaît son mode de communication individuel. Lors des réunions, veillez à ce que les visages et les mains soient clairement visibles (bien éclairés et bien dégagés à la vue de tous). Des dessins et des informations écrites permettront aussi de préciser, clarifier et confirmer les propos.
Pour les personnes ayant des déficiences visuelles, familiarisez les participants avec la configuration et les équipements du lieu de rencontre dès leur arrivée. Au début de chaque session, circulez dans le groupe et demandez à tous les participants de dire leur nom afin de les aider à comprendre qui est présent et à quelle place. Durant la réunion, demandez aux participants de dire leur nom avant d'intervenir de manière à ce que chacun sache qui est en train de parler.
Pour les personnes ayant des déficiences intellectuelles, la capacité de compréhension dépend du niveau de handicap. Le langage simple, les messages courts, la répétition et la patience sont essentiels. Le soutien d'un membre de la famille ou d'un soignant peut également être nécessaire.
Certaines évaluations peuvent porter sur des programmes qui incluent déjà des personnes handicapées, alors que d'autres programmes peuvent ne pas être orientés spécifiquement sur le handicap. Quel que soit le cas, une bonne pratique pour toutes les évaluations consiste à prendre en compte l'inclusion et l'implication des personnes handicapées comme un thème transversal dans tout processus d'évaluation.